Elles en ont eu assez de porter le quotidien toutes seules. En choisissant la colocation, elles ont divisé le loyer par deux et multiplié la convivialité par mille !
«Viens dans ma chambre, je te montre mon nouveau lit, c’est ma maman qui l’a fait ! » Jonas, 2 ans et demi, a raison d’insister, car l’œuvre vaut le détour : le premier étage ressemble à un bus bleu, le deuxième a des airs de château de princesse. « C’est Rose qui dort là-haut, et moi, ici ! », s’exclame-t-il, en désignant le lit du bas parsemé de Playmobil.
Il y a à peine trois mois, Jonas et Rose ne se connaissaient pas. Chacun vivait de son côté. Un jour, Juliette, 30 ans, comédienne et maman de Jonas, passe une annonce sur un site Internet. Elle rencontre une quinzaine de familles monoparentales, mais n’éprouve aucun atome crochu. « Une personne m’avait même demandé : « L’espace de jeu de votre fils, il va d’où à où ? »», raconte-t-elle, assise dans le vaste salon de son appartement de Montreuil, en proche banlieue parisienne. « Une autre maman m’avait même fait comprendre que ce serait pour elle une solution de garde pour sa fille le samedi soir… »
Puis elle reçoit un message d’Eva, 38 ans, maman de Rose, 5 ans. « On s’est rencontrées une seule fois avant d’emménager ensemble. Ce sont les enfants qui ont fait qu’on se décide si vite : ils ont tout de suite accroché ! »
L’union fait la force :
En France, où 16?% des enfants de moins de 18 ans vivent au sein de familles monoparentales, les colocations de ce type ne sont plus des cas isolés.
Depuis 2008, il existe des sites internet dédiés à cette cible : Voici le type d’annonces qu’on y croise : « Jeune maman d’un petit garçon de 2 ans recherche colocatrice avec enfant(s) pour partager une maison. Une chambre d’enfant(s), un jardin, de la simplicité. Envie d’espace joyeux et aussi de moments de fêtes ! »
Certes, ce n’est pas encore un raz-de-marée, mais les faits sont bien là : de plus en plus de mamans solos décident que l’union fait la force. « Après la rupture, elles connaissent presque toutes – mêmes celles qui ont un travail – une précarisation rampante, soit au niveau financier, soit au niveau affectif. Beaucoup d’entre elles ont été abandonnées. Quand elles se sont retrouvées seules pour la première fois, toutes les mères célibataires que j’ai interrogées étaient terrifiées. Pour elles, la colocation monoparentale est un radeau bienvene! », explique Pascal Lardellier, sociologue.
Voyez Juliette et Eva. Depuis que ces deux trentenaires ont réuni leurs petites familles sous le même toit, elles respirent à nouveau.
Quand on est deux à gérer le quotidien, plus de course contre la montre, ni de fins de mois difficiles : un loyer divisé par deux, ça change la donne. « Avant, je vivais dans un F2 de 36?m2, avec un loyer de 626?€ par mois. Une fois que j’avais payé les dépenses courantes, il me restait 200?€ – sur mon salaire de 1.500?€ – pour manger et tout le reste. Total, j’étais à découvert tous les mois. Mon banquier a été très clair : soit vous retournez vivre chez vos parents, soit vous vous trouvez un mec ! », se rappelle Eva
* Pascal Lardellier, sociologue et auteur de La guerre des mères, parcours sensibles de mères célibataires (éditions Fayard).
Famille New Look
Mais les bénéfices de la colocation monoparentale ne sont pas que d’ordre financier et logistique.
« Depuis qu’on habite ensemble, Rose est moins turbulente, elle sent que je vais mieux et ça lui fait du bien ! », se réjouit Eva. Bien sûr, cet équilibre n’est pas venu du jour au lendemain. « Les premiers temps, nous avons beaucoup échangé sur nos approches éducatives : je suis un peu plus stricte que Juliette, qui, elle, a un côté plus bohème. Mais pour l’instant, il n’y a pas eu de frictions. Quand on vit en coloc, il faut croire qu’on est plus attentif qu’en couple…On est complémentaires, ce qui est bénéfique pour les enfants. Ils se chamaillent de temps en temps, certes, mais c’est aussi le cas entre frères et sœurs ! ».
Une vraie petite famille ? Selon le sociologue Michel Fize*, les colocations monoparentales représentent bien une nouvelle forme de vie familiale. « Le critère essentiel pour qu’il y ait famille ? Ni l’amour ni le sexe, mais la présence d’enfants ! Les colocations monoparentales, qu’on ferait d’ailleurs mieux d’appeler « cohabitations monoparentales » tant l’élément de sociabilité y est important, sont de véritables « familles relationnelles » : le cadre fermé d’une famille traditionnelle y est remplacé par un système de relations entre individus. C’est la famille toile d’araignée, autour de laquelle gravitent d’autres éléments importants, comme les pères et la famille élargie ! »
Et comme une petite famille en effet, Eva, Juliette, Jonas et Rose partagent leurs repas et aussi certains loisirs.
« Le mercredi soir, on fait des vernissages tous ensemble, on adore ça ! », s’enthousiasme Juliette, à qui il arrive aussi de sortir promener les enfants au square d’à côté quand Eva est occupée. Mais contrairement à une famille « PME » (père-mère-enfant), chaque maman a sa propre chambre – même si celle de Juliette se limite à une partie du salon, démarquée par un paravent. Quant au partage des tâches ménagères, il s’est, lui, fait tout naturellement en fonction des envies de chacune. « Eva adore faire la vaisselle et moi j’aime bien faire les courses. Et pour le ménage, c’est chacune son tour. C’est bien plus équitable que si on vivait chacune avec un homme ! », rigole Juliette.
* Michel Fize, sociologue et auteur de La famille (éditions Le Cavalier Bleu).
Idéal, mais temporaire
– Et les ex, que pensent-ils de ce mode de vie ?
« Le papa de Rose est venu l’autre jour pour voir dans quel univers évoluait sa fille une semaine sur deux (Rose est en garde partagée, Ndlr). Il trouve ça un peu bizarre que je partage un appartement avec une autre femme, mais il voit bien que sa fille s’épanouit, et c’est ce qui compte le plus pour lui », explique Eva.
– La vie de couple la tente-t-elle à nouveau ?
« Je ne suis pas dans l’état d’esprit de rencontrer un homme, mais je ne resterai pas non plus dix ans dans cette configuration. A terme, je voudrais à nouveau mon propre espace… » Sa colocatrice partage le même ressenti : « Je n’ai pas envie de reconstruire une vie de couple dans l’immédiat, je goûte plutôt à la liberté retrouvée.Mais dans deux ans, je vivrai les choses peut-être différemment… »
La colocation comme solution idéale mais temporaire donc. C’est justement ce dernier point qui inquiète Anne-Sophie Nogaret : « Vivre avec quelqu’un d’autre, ce n’est pas rien, ça crée des relations très fortes entre les enfants. Ils viennent de vivre une rupture et voilà qu’on leur programme déjà la prochaine ». « Et alors ? rétorque Isabelle Yhuel. Dans les couples aussi, il y a de l’incertitude, on ne sait jamais combien de temps ça va durer. Nous vivons dans une société nomade, les enfants le supportent très bien. Cela dit, pour éviter les déceptions, il vaut mieux expliquer tout de suite à son enfant que cette colocation n’est pas pour la vie!
Ghetto féminin ?
Selon Pascal Lardellier, un autre point peut poser problème : « La colocation entre deuxmères solos peut vite virer à un gynécée où on se complaît à dire du mal des hommes, ce qui n’est pas bon pour les enfants. On peut passer des années comme ça, à se faire des soirées DVD entre copines, à se rendre des petits services de baby-sitting, ce qui n’augmente pas les chances de se relancer sur le « marché » matrimonial… Mais tant que ça reste transitoire, c’est tout à fait positif ! »
Pour les pionnières de la colocation monoparentale, en tout cas, les avantages l’emportent. « Ne pas me retrouver seule après ma séparation m’a permis d’avancer, le dialogue avec un adulte bienveillant m’a été salutaire. En plus, on peut avoir une vie de femme à côté de sa vie de mère ! », assure Eva. « Il s’agit tout simplement d’une alternative aux accidents de la vie qui, dans un contexte de rupture, permet d’éviter la solitude », résume la sociologue Nina Testut, spécialiste de la colocation. Plutôt que de tourner en rond dans un appartement vide quand les enfants sont chez leur père, on est désormais deux pour affronter les aléas de la vie. Et on est aussi deux pour goûter aux joies d’être parents : premiers pas, première rentrée de classe… ces événements sont encore plus beaux quand on peut les partager !
Les papas solos s’y mettent aussi
Il n’y a pas que les mamans solos qui se lancent dans la colocation. Les papas, qui représentent 15?% des chefs de familles monoparentales, s’y mettent aussi. Mais contrairement aux femmes, la plupart d’entre eux ne cherchent pas des colocataires du même sexe…
C’est le cas de Pascal, qui vit seul avec ses trois enfants dans une grande maison des Landes. « Attention : je ne cherche pas une mère solo pour refaire ma vie de couple ! Je ne cherche pas non plus une femme corvéable à merci. Non, je gère très bien tout seul mon quotidien avec les enfants. Mais il manque l’élément féminin chez nous, j’ai envie qu’on se file des coups de main de temps en temps. Comme je suis pompier, je dois assurer des gardes de nuit… Pour moi, la colocation est une alternative à la famille : elle en a tous les avantages sans les inconvénients.
A condition de trouver la bonne personne, avec des enfants dans la même tranche d’âge ! » Pour l’instant, il ne l’a pas encore dénichée, mais il garde espoir…
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